Je suis pleine de qualités inutiles, comme celle d'être dotée d'une mémoire démesurée pour les détails insignifiants, les histoires qui ne me concernent pas et même celles auxquelles je n'ai pas assisté.
Mais après tout, on nous met en tête qu'il faut être efficace à tout prix, alors que finalement, je ne suis pas d'accord avec ces principes de rentabilité cérébrale. Je resterai donc celle que je suis, avec une mémoire sélective (parce que ça ne s'est jamais appliqué au domaine scolaire) qui ne mène à pas grand chose à part à constater l'écarquillement des yeux de mes interlocuteurs lorsque je dis "Mais si ! Tu étais là ce jour-là et tu avais même remarqué que la petite soeur de ce type qu'on ne connaissait pas ressemblait à Brad Pitt en moche ! Tu te souviens pas ? Mais quand même, on avait 7 ans, c'est pas si vieux... "
J'ai d'ailleurs longtemps cru que c'était tout à fait normal de se souvenir des spectacles de la crèche (sans photos à l'appui), puisque ma chère amie Z. est pareille que moi. Sauf que non, elle est simplement aussi maniaque (voire pire).
Mais je m'égare - il s'agissait là d'aborder les qualités insoupçonnées dont je semble disposer.
Ainsi, il y en a une dont j'ai très récemment fait la découverte et que je peux désormais officialiser, puisqu'elle s'est vérifiée à plusieurs reprises : je remporte un certain succès auprès des manutentionnaires.
Je ne suis probablement pas la seule, je le conçois ! Et, j'aurais pu faire plus original, il est vrai. Mais y en a-t-il beaucoup qui peuvent se vanter de recevoir des cadeaux réguliers de leur part ?
Tout a commencé lors de mon premier travail : hôtesse d'accueil à la garde d'Austerlitz où j'annonçais aux voyageurs que leur train n'allait pas plus loin pour cause de travaux. Merveilleux été caniculaire de 2003... Cela n'a cependant pas rebuté le livreur de fruits du marchand de la gare, qui m'offrait régulièrement une pomme, une banane... Ca me laissait déjà perplexe à l'époque, à vrai dire.
Ce même été, le manutentionnaire des distributeurs automatiques (je casse tout de suite le suspens, il ne s'agit pas d'argent mais de boissons et sucreries) m'avait offert un Kinder Bueno. Mon air gourmand ? Sûrement...
Cette première expérience professionnelle m'a donc appris plusieurs principes de société qui m'ont été utiles par la suite (je sais, je digresse une fois de plus et le pire, c'est que vous n'apprendrez rien en lisant ces principes) :
- les gens ne sont plus des êtres humains dès qu'ils sont en extérieur (la chaleur et l'effet de masse amplifie ces comportements)
- les gares sont glauques et il y a un véritable eco-système qui s'y est créé, les clochards ont leur place attitrée et les gens semblent avoir le droit d'être agressif parce qu'ils sont pressés (comme dans tout endroit où il faut faire la queue, d'ailleurs)
- rares sont les travailleurs qui ne détournent pas le système (vous-même êtes concernés puisque vous lisez, écrivez vos mails personnels depuis votre travail et y êtes peut-être même maintenant...)
Il n'y a pas de tiret pour mon succès auprès des manutentionnaires puisque je n'en savais encore rien.
Je suis d'accord, tout ceci est un peu longuet, je passe donc sur cinq ans de ma vie et vous épargne mes expériences de vente de maillots de bain, de réserves de chaussures et de call centers, pour en arriver à mon travail actuel (mince, je ne suis pas sûre d'avoir le droit de citer. Bon il s'agit d'une institution nationale dont le champ d'action est culturel et artistique. C'est un grand endroit) où j'ai pris des photos d'employés en même temps que des bureaux magnifiques que nous quittions (à cause de Sophie Calle - à vous de mener l'enquête pour retrouver le lieu - ce n'est pas Beaubourg).
Aucun de ces employés de surface ne m'a reparlé de ces photos, ni même ne semble me reconnaître. Mais celui qui travaille pour la maintenance de plein de choses n'a, depuis lors, manqué aucune occasion de me saluer ou même de s'assurer que je vais bien. Chose que je fais en retour, la politesse ne m'incomode pas, bien au contraire.
Cependant, que faire lorsque les relations superficielles et tout à fait satisfaisantes ainsi se retrouvent bouleversées par le don d'un cadeau ?
Je me suis ainsi retrouvée abonnée aux cannettes de jus de fruits en tous genres, moi qui n'aime pas les sodas et autres boissons concentrées en sucres, colorants et arômates...
Hier, j'ai eu droit à une petite bouteille d'eau en prime (ça, ça m'a fait plaisir).
Cette situation est une impasse ! J'ai toujours un amateur de ces cadeaux autour mais quand même !
Impossible de dire que je n'aime pas ça, ce serait méchant. Je me contente de dire que c'est gentil et je reste toujours perplexe face à ces offrandes...
Alors voilà, quand on est petite, on rêve d'un prince charmant qui viendra nous chercher sur son cheval blanc. Puis on grandit, et on reçoit des jus de fruits industriels.